« Notre » Père – Quelle fraternité ? La fraternité eucharistique.

Cycle de CATÉCHÈSE SUIVIE SUR LE NOTRE PÈRE

« Notre » Père

Quelle fraternité ?
La fraternité eucharistique

Bien que destinée à tous les hommes, on a compris que si l’entrée dans la fraternité chrétienne était le baptême et sa réalisation l’eucharistie, alors le christianisme crée à son tour une communauté particulière distincte des autres groupes. Le comportement chrétien présuppose donc une communauté fraternelle avec des limites. Jésus lui-même désigna comme frères et sœurs, non pas tous les hommes indistinctement mais seulement ceux dont la volonté est unie à la sienne pour accepter la volonté paternelle de Dieu. En Mt 25, quand Jésus appelle les tout-petits comme ses frères, il ne se prononce pas sur leur qualité personnelle, mais sur l’exigence de charité dont ils sont toujours l’occasion. Ce sont les douze, choisis par le Christ, qu’il désigne préférentiellement comme frères. Jésus parle aussi en bien des endroits, de la substitution du lien fraternel terrestre au profit d’un lien fraternel nouveau et plus large : la communauté fraternelle des chrétiens. Seuls les chrétiens sont donc frères au sens propres, et les autres sont pour eux ceux du dehors. Voilà l’acception chrétienne de frère. Tenter d’abolir cette limite est l’œuvre des lumières. Seulement dans ces limites l’idéal fraternel est réalisable.

Mais qu’en est-il de ce réalisme fraternel concret quand la communauté chrétienne est devenue universelle ? Il faut se rappeler alors que le mot Église désigne prioritairement la manière dont l’unique Église se réalise dans les communautés locales. La fraternité doit d’abord se réaliser dans la communauté locale, concrètement, dans chaque paroisse. Dans une paroisse, cet idéal de fraternité doit se réaliser dans l’assemblée cultuelle. En effet le mot Ekklésia désigne non seulement l’Église ou la communauté locale mais tout autant l’assemblée cultuelle. L’unique Église trouve sa représentation concrète dans la communauté locale concrète, qui se réalise elle-même en tant qu’Église dans l’assemblée cultuelle, c’est-à-dire avant tout dans la célébration de l’eucharistie.
Parler de fraternité chrétienne implique en conséquence réclamer l’exercice du sentiment fraternel en chacune de ces communautés paroissiales, sentiment qui trouvera sa source et son point d’application dans la célébration de l’eucharistie. L’eucharistie n’est pas tant la rencontre de l’âme avec le Christ, mais la concorporatio cum Christo, c’est-à-dire l’union des chrétiens en l’unique corps du Seigneur, l’œuvre d’unification des hommes dans et par le Christ. Pour que l’eucharistie devienne source du sentiment fraternel, la célébration eucharistique doit être intérieurement reconnue et accomplie comme sacrement de fraternité et manifester cela dans ses formes extérieures. Ekklésia et adelphotès, Église et fraternité sont équivalentes. Il faut exiger que l’eucharistie soit célébrée comme un culte fraternel, dans un dialogue responsorial et pas seulement l’action d’un pontife seul devant un troupeau. L’eucharistie doit redevenir visiblement le sacrement fraternel, pour que puisse se déployer toute sa force d’édification communautaire. Il faut donc développer aussi hors de l’eucharistie des formes réadaptés de vie communautaire en dehors de l’Église, complétant l’assemblée cultuelle et rendant possible le sentiment fraternel. La division des activités paroissiales en organisations particulières ne doit pas mettre au second plan l’unité plus vaste de la paroisse. Cette expérience de fraternité est vraiment expérience d’universalité, de dépassement des frontières. De même doit être encouragée la connaissance mutuelle des communautés paroissiales, qui dans leur foi et leur amour édifient ensemble l’unité suprême de la Mère-Eglise, le Corps du Seigneur.

Ayant dit cela, vient la question du rapport des communautés fraternelles avec le dehors ? Ces non-frères, ces gens du dehors existent. Mais attention, nous sommes trop facilement enclins à penser tout de suite selon la perspective des lumières et non selon celle de saint Paul. Toute séparation nous paraît suspecte, et pourtant la séparation chrétienne favorise en définitive une ouverture universelle. Mais auparavant il faut commencer par séparer, par former une communauté fraternelle concrète, définie, saisissable, rendant réalisable cette totalité qui n’est d’abord qu’une rêverie. Paul parle ainsi d’une attitude à la fois d’ouverture – quand le plein exercice de la charité est réclamé, quand il faut prier pour les hommes, respecter une autorité non-chrétienne, se montrer bienfaiteur pour le monde – et aussi de prise de distance à l’égard de ceux du dehors. Paul considère comme n’étant pas l’affaire du chrétien de juger de l’état moral subjectif de ceux qui sont hors de la communauté (1 Co 5,12-13). Il invite cependant à une prudence dans la relation à leur égard pour ne pas déchoir avec eux. Il s’agit de ne pas s’associer avec eux, ni les choisir pour habituels compagnons de société, au-delà de l’accomplissement de tous les devoirs de charité et devoirs légaux. Quid des baptisés non pratiquants ? Paul parle des pseudoadelphoi, des pseudo-frères, ceux qui n’ont pas l’esprit du Christ et ne lui appartiennent pas. Ce n’est qu’en participant à l’assemblée cultuelle eucharistique qu’on devient au sens propre membre de la communauté fraternelle chrétienne. Si on n’y prend pas part, on ne peut être compté comme membre de la fraternité comme telle. La définition paulinienne de la communauté fraternelle des chrétiens comprend uniquement ceux qui participent régulièrement à la célébration. C’est la seule définition réaliste. Ce n’est qu’à partir d’elle qu’on peut avoir l’espoir fondé de réaliser effectivement une communauté fraternelle consciente. Il ne s’agit pas de ne plus tenir compte des baptisés non pratiquants, qui ont perdu la foi vive et la participation immédiate à la fraternité chrétienne. Il faut seulement se libérer d’une illusion dangereuse, illusion qui nous empêcherait de mesurer exactement les devoirs qu’on a envers ceux dont on devrait être le frère et dont on l’est hélas trop peu. A l’égard, des baptisés non pratiquant, il faut user de bonté loyale dans l’enseignement et l’exhortation, leur porter infatigablement la lumière du Christ et rompre tout commerce en cas seulement d’extrême nécessité avec exclusion formelle de la communauté. Le but restant toujours l’amendement, le retour complet dans la communauté fraternelle des chrétiens.

Père Ambroise Riché